C'était le jour de son mariage.
Sa famille possédait une propriété en Irlande : un magnifique manoir rénové. Les noces se dérouleraient là-bas : dans les vertes campagnes du Kerry, sur une petite île préservée.
Les familles respectives des époux étaient conviées à loger sur place, dans ce cadre exceptionnel. Les plaines humides et verdoyantes glissaient vers l'horizon, là où les monts gris se découpent sur le ciel orangé de l'aube naissante. Quelques moutons gambadaient ça et là, parmi l'herbe grasse et les trèfles recouverts de rosée. L'air était pur et le vent diffusait les senteurs fraîches du bois et de la mousse, encore tout imprégnés de la pluie nocturne.
La future mariée était prête, debout dans la « salle des marqueteries ». Ses talons claquaient sur le parquet ciré. Sa belle robe blanche lui allait tellement bien : ce corsage brodé, ce voile léger tombant sur ses épaules dénudées et ce joli diadème scintillant. Ses cheveux dorés attachés en chignon bas lui donnait une allure si élégante ! Un collier de perle blanche entourait son cou délicat. Un bouquet de fleurs en main, elle s'approcha du miroir.
Elle se tenait immobile devant la psyché. Son regard scrutait les moindre détails de sa tenue, elle se trouvait magnifique.
Tout à coup, elle releva la tête, un nouveau reflet était apparu dans la glace. Sa mère s'était approchée. Elle portait une robe mauve et un petit sac en toile. Elle souriait à sa fille.
Enfin, après avoir réajusté le voile elle murmura, émue :
« Tu es prête ?
La jeune femme se retourna et lui fit signe de la tête.
— Oui !
— Tu es si belle, ma chérie ! Si belle ! s'émerveillait sa mère, les larmes aux yeux.
— Je t'en prie maman, ne pleure pas maintenant !
Elles rigolèrent.
— La voiture est en bas. On n'attend plus que toi !
— J'arrive tout de suite... Dans cinq minutes.
— Bien ! » Elle l'embrassa tendrement sur la joue, du bout des lèvres, pour ne pas abîmer son maquillage, puis disparut derrière la grande porte en bois.
La future mariée se tourna de nouveau vers le miroir. Lui qui lui renvoyait une image si parfaite, si ravissante. Alors, la jeune femme pensa :
« Si seulement les miroirs pouvaient nous montrez sous notre plus beau jour, et ce à chaque fois qu'on les regarde ! Nous n'aurions plus à nous souciez de notre apparence... Je serais belle éternellement... Je vivrais dans une illusion... un songe où mon reflet serait toujours superbe... prisonnier dans cette glace... pour toujours... Bien sûr il n'en sera jamais ainsi. Les miroirs ne sauraient mentir.
Un jour ma peau sera tachée et flétrie... mes cheveux seront gris... Je me sentirai fatiguée, faible et... mon mari ne me reconnaitra même plus, son amour s'évanouira avec les années... À chaque seconde qui passe, je me rapproche un peu plus de ma fin... Ai-je envie de vieillir à ses côtés ?... Oui... Peut-être pas... Et cette voiture qui attend en bas... Ma mère... mon père... les invités... »
Elle sursauta lorsque le klaxon la tira de ses pensées. Elle tourna la tête vers la fenêtre : un vase sombre était posé sur une tablette marquetée, des lys fanés tombaient de part et d'autre de cette urne affreuse. La jeune femme était presque sûre de ne pas l'avoir vue en entrant dans la pièce.
Qu'importe ! Il fallait descendre à présent ! Alors, une dernière fois, elle fixa son propre regard dans le miroir et recula vers la porte à pas lents, voyant ainsi disparaître sa silhouette au fur et à mesure. Lorsque son dos toucha la porte, elle s'immobilisa un instant, puis attrapa la poignée et sortit brutalement.
Après avoir traversé le couloir, arrivée aux escaliers, elle s'arrêta encore un moment, puis entama sa descente. Sa traîne glissait sur le tapis rouge recouvrant les marches, ses talons les frôlaient sans bruit. Sa mère la vit alors apparaître et lança :
« Il est temps ma chérie ! Dépêche-toi ! Nous allons être en retard ! »
Elle posa affectueusement sa main sur l'épaule de sa fille. Puis, elles sortirent du manoir. À l'extérieur, une voiture étincelante les attendait. Le chauffeur ouvrit la portière à la future mariée et l'invita à prendre place. Sa mère l'accompagnait.
C'est alors qu'ils s'éloignèrent de la résidence afin de rejoindre le bourg typique de l'île. Bras dessus, bras dessous les deux femmes regardaient au-dehors ; les grands murs ternes de l'église se dessinaient déjà au loin. La jeune femme se sentait mal : comme épiée. Une gamine vêtue de noir la dévisagea... Et là, en passant, elle était persuadé d'avoir vu un vieillard étrange...
Les ruelles étroites et escarpées obligeaient le conducteur à ralentir.
Ses pentes donnaient l'impression à la jeune femme d'être suspendu dans le vide : craignant à chaque instant de basculer, de voir l'auto patiner, glisser puis...
La gorge serrée, elle saisit la main de sa mère avant d'annoncer :
« Maman !
— Oui, ma chérie ?
— Je... j'ai...j'ai peur ! murmura-t-elle. Sa mère lui attrapa les mains, comme pour la retenir.
— Oh, qu'y a-t-il ma petite ? Calme-toi !
Des larmes emplirent les yeux de sa fille.
— Et si je n'étais pas faite pour lui ! sanglota-t-elle.
— Juliette ne dis pas de sottises ! Est-ce que tu t'entends parler ? Non mais franchement ! Tu es anxieuse et c'est tout à fait normal !
Nous le sommes toutes dans ces moments là ! Ne t'inquiète pas, tout ira bien ! »
Ces paroles se voulaient rassurantes et la future mariée sécha ses pleurs avec un mouchoir jaunâtre que sa mère venait de lui tendre.
Par hasard, la jeune femme croisa son propre regard dans le rétroviseur. Ses yeux lui paraissaient éteints... Elle se détesta soudain.
Le véhicule s'arrêta devant la porte principale de l'église. Le parvis était désert. Le chauffeur aida la jeune femme à sortir de la machine.
Le vent soufflait. Juliette avait froid. Très froid. Elle frissonnait. Tremblante, elle gravit les marches en pierre menant à l'entrée. Son père l'y attendait.
« Bonjour ma fille ! Tu es... Rayonnante, dans cette tenue ! Un vrai ange !
— Merci papa ! répondit-elle simplement.
—Tu es prête ? » Il n'attendit aucune réponse et, au bras de son enfant, commença à marcher vers la nef.
Les invités, tous assis sur les bancs, se retournèrent. Ils la voyaient enfin ; eux qui avaient attendu si longtemps avant de la découvrir en mariée. Tous la trouvaient splendide.
Elle avançait auprès de son père, au rythme lent d'une accablante sérénade, jouée par l'organiste de la paroisse.
Derrière son voile abaissé, on pouvait deviner un visage fermé. Pâle et perdue, la jeune Juliette progressait vers l'autel. Elle ne se sentait pas à sa place.
Soudain, elle remarqua que la plupart des invités revêtaient des habits sombres : des chapeaux, des robes, des costards foncés. Même la soutane du prêtre était grisâtre.
Arrivée auprès de son fiancé, elle le dévisagea. Son sourire surfait disparut aussitôt.
Il murmura :
« Quoi ? Que se passe-t-il ? »
L'ecclésiaste s'approcha et déclara à l'assemblée d'une voix sourde :
« Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, nous sommes aujourd'hui réunis pour... »
Enfin, la jeune femme remarqua une table près du baptistère, une table assez haute où un panier en osier servant à la quête reposait près d'un vase obscur où des lys fanés s'étiolaient. Une angoisse la gagna. Comme si ces trophées sinistres étaient déposés par un tiers. Pourtant, aucune ombre ne se baladait alentour. Personne ne semblait suspect, seuls les religieux se tenaient debout... Son regard inquiet scrutait le moindre geste opéré, le moindre mouvement...
Au bout d'un moment, après l'éloge funèbre de l'abbé, les témoins s'approchèrent. Juliette eut peine à reconnaître Samson, son ami de toujours. Ses yeux croisèrent les siens et révélèrent son incompréhension. Ceux de la petite avaient rougis. Puis, le moment crucial arriva, ils durent se prendre les mains.
« Moi James Pâris William, je te reçois Juliette Ann Gregory comme épouse et je te promets de rester fidèle, dans le bonheur et dans les épreuves, dans la santé et dans la maladie, pour t’aimer tous les jours de ma vie.
Elle hésita un instant avant de parler à son tour.
— Moi... Juliette Ann Gregory... je te reçois James Pâris William, comme époux... et je te promets de rester fidèle... dans le bonheur et dans les épreuves... dans la santé et dans la maladie... pour tous les jours de ma vie... »
Un certain malaise parcourut les bancs. Des murmures s'élevèrent. N'avait-elle pas omis un mot ?
James reprit de plus belle, afin de recadrer l'attention des invités :
« Juliette Ann Grégory, veux-tu être ma femme ? »
Ils se fixaient impassiblement. Elle, les yeux pleins de larmes, lui, l'œil hagard. Qu'avait-elle ? Pourquoi se comporter ainsi ?
Le jeune homme posa calmement ses mains autour du visage de sa bien-aimée. Puis, il réitèrera sa question :
« Juliette Ann Gregory, affecté il s'arrêta un instant, veux-tu être ma femme ? »
Elle éclata en sanglots devant une assistance abasourdie.
La mère du fiancé se dressa d'un bond :
« C'est un scandale ! » Sur ces mots, quelques uns de ses proches se dispersèrent dans la nef, se glissèrent par l'énorme porte entrouverte. Le bruit de leurs pas sur les pavés se répercutaient sur les collatéraux. L'envol subit d'une bande de choucas surprit le clerc.
La famille de Juliette se tenait immobile. Le père resta interdit. Sa mère porta la main à la bouche, stupéfaite par la conduite de sa fille.
Chancelante, la jeune femme recula lentement : courbée, une main plaquée sur le cœur, l'autre tendue vers son promis. Lui ne bougeait plus. Figé, il la voyait s'éloigner.
Tétanisée, elle traversa l'église sans le quitter des yeux. Enfin, en approchant de l'entrée, elle baissa les bras et dans un dernier soupir, souffla ses mots : « Pardonne-moi James... Adieu ! »
Fragilisée par toutes ses interrogations, la fille s'évanouit derrière la porte.
Plus personne n'entendit parler de cette enfant. Son prénom s'effaça lors de sa disparition. Au fil des années son souvenir s'était obscurcit.
Les anciens soutenaient qu'un unique lys blanc avait été abandonné – sur l'île – près du petit pont de la rivière Marbh.
Seul un vieux miroir usé se remémorerait ce visage. Il garderait toujours son reflet en mémoire.
Marie Sullivan
Octobre 2011
Octobre 2011
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